Michel Morin, site officiel

Le murmure signifiant

Le murmure signifiant

Montréal, Les Herbes rouges, 2006, 357 p.

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Résumé

Le murmure signifiant est un livre dense et protéiforme s’il en fut. Ce livre pointe dans toutes les directions à la fois : éthique, esthétique et sacré ; musique, cinéma, peinture, photographie et télévision ; désir, sens, signifiance, écriture, signes et salut ; corps, esprit, production/consommation, imagination et désertion… Que ce livre soit composé de fragments ne facilite pas la tâche de le résumer. Malgré tout, un champ de force se dessine, « un champ magnétique », eût dit André Breton, une « multiplicité avec un seul sens », eût dit Nietzsche. Une « vision du monde » travaille en sourdine (toujours dans le même sens) pour structurer cet essai écrit par fragments.

C’est ainsi que Michel Morin nous amène dans ce livre à porter notre attention du côté de ce qui nous échappe, plus précisément, sur l’intériorité de l’expérience sensible et le sens qui peut en émerger si on sait y être attentif. Il interroge à cette fin l’art moderne et le cinéma, d’une part, notre rapport aux moyens techniques et au monde du spectacle, d’autre part. Pour que ce « murmure signifiant » qu’évoque le titre de l’ouvrage puisse se faire entendre, l’auteur aura pris soin de déboulonner tout au long de son essai ce qu’on pourrait appeler l’idéologie moderniste et techniciste propre aux sociétés industrielles avancées. Cet aspect critique de l’essai est nécessaire pour qu’advienne ce que l’auteur appelle en fin de parcours la « résurrection des corps », c’est-à-dire le devenir-signifiant de cet être qu’on dit humain, et que l’auteur se plaît à appeler le « sentant-percevant-pensant. »

Il n’est pas inutile d’avoir à l’esprit, lorsqu’on lit Le murmure signifiant, ce mouvement général de la pensée pour s’y retrouver dans cet essai aux multiples ramifications, et ce même si le Tout (la « vision du monde ») ne subsume pas les parties et ne nous dispense pas de porter attention à chaque patte de mouche sur le papier…, car le « sens » n’est jamais donné une fois pour toute, il est « en route… et en déroute », pour évoquer le titre d’un des chapitres du livre. « Il est dans la nature du sentant-percevant-pensant, écrit Morin, de le faire advenir du sein de son exister, de dévoiler une “logique”, c’est-à-dire un “Logos” à l’œuvre, une cohérence en train de se faire. » Cette cohérence ne nous précède ni ne nous dispense du risque de l’exister, puisqu’elle se cherche et ne se constitue qu’à travers de multiples défaillances.

Mais peut-on encore, aujourd’hui, être attentif à cette cohérence qui se cherche du sein du plus intime et du plus intérieur de soi, alors que tous les moyens techniques et la civilisation contemporaine dans son ensemble en viennent à nier toute intériorité à l’être humain, à occuper et capter son imagination et sa sensibilité, à lui faire croire que tout est à chercher au dehors, qu’il n’y a rien qui soit hors ce qui peut être représenté, là, devant soi, à portée de main, facilement reconnaissable et assimilable ? Pour lutter contre ce « totalitarisme du réel » et la « dictature du montrable » qu’il implique, lire Le murmure signifiant s’avère des plus salutaires.

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Extraits

La construction représentative, le spectacle, s’institue et se trouve recherchée comme compensation à l’effet d’usure produit par le système de production. La souffrance éprouvée au travail, celle de ne pouvoirparler essentiellement ni imaginer, nécessite une compensation qui prenne au moins les apparences de l’imaginaire. En lieu et place de mon pouvoir d’imaginer — à la fois infini et sans figure —, la mise en représentation organisée procure une satisfaction temporaire qui soulage mais en distrayant toujours — endivertissant — du mal qu’il y a à être, et surtout à être sans imaginer. […] Le représentable, le montrable devient la catégorie par excellence du salut sous cette nouvelle forme. À partir du moment où le désir a un objet, que cet objet est montrable, et, par conséquent, possédable, je ne travaille pas pour rien… (p. 99)

Alors que le cinéma est sans aucun doute l’art le plus efficace de la re-mise en mouvement, de la re-dynamisation du réel et de l’existence en même temps qu’exceptionnellement doué à développer l’attention aux moindres détails de l’existence, il se trouve à prêter toutes ses ressources à l’achèvement du concept de l’art-mimésis, en une sorte d’apothéose de la représentation à prétention réaliste. Il se trouve à conforter la vie telle qu’elle est alors qu’il est voué à la révolutionner dans son être et sa pensée, voire à révolutionner le rapport intériorité/extériorité en dissolvant le dualisme institué au profit d’un devenir-signifiant des moindres aspects du réel : c’est l’esprit rendu lisible dans les choses, les gestes, les expressions, les déplacements, c’est le rendu de l’« atmosphère », du « climat » hors desquels aucune existence humaine ne peut se déployer. […]
Il s’agirait de briser l’écran, opaque dans sa transparence prétendue, de le traverser en remettant en rapport les images en mouvement avec les êtres et les choses en mouvement, rendant au cinéma son extraordinaire pouvoir d’immanentisation de la conscience et, du même coup, de dissolution des dualismes. (p. 59-60)

La fuite hors de soi devient vite compulsive : on ne se supporte plus, on ne supporte plus l’autre que « hors de soi ». La haine de soi devient le ressort de la « communication » qui se veut toujours « objective », intolérante à toute sensibilité, à toute subjectivité sensible. Chacun, attelé à son ordinateur producteur de « messages » constitués de « signes-objets », cherche compulsivement à en finir avec soi, la source, le souffle, le signe, l’autre, le sens ; autant de termes d’ailleurs déconsidérés, voire tombés en désuétude. […] C’est l’être sensible, vivant, son frémissement dans les signes, qui sont réputés « archaïques », bref, la vie elle-même, trop « primitive » pour être prise en considération. (p. 288)

Dès qu’il y a pensée, il y a quelqu’un pour penser. Le « sens » se lève et cherche à s’exprimer. Telle est la « parole » ou logos immanente au penser et à l’exister-pensant. Le « murmure signifiant » est la première modulation, le premier mode d’advenue de la parole et du sens indissociablement. À même le vivant-pensant, à fleur de vivant, ça parle, et, dès que ça parle, l’être, le monde advient au sens. […] D’où l’appel des signes pour traduire et transposer en sa réalité propre, c’est-à-dire en un « langage », ce qui ne saurait rester contenu à l’intérieur des « corps » et de leurs fonctions vitales, s’il s’agit de corps vivants. (p. 356-357)

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Critiques

« Avec Pierre Vadeboncoeur, Laurent-Michel Vacher, Pierre Bertrand, Michel Morin compte parmi une certaine tradition d’essayistes au Québec qui s’inscrivent dans une démarche nettement philosophique. Depuis la fin des années 70, l’auteur de Désert ne cesse d’approfondir une œuvre exigeante où des questions politiques de même qu’existentielles sont mises à l’épreuve. Dans Le murmure signifiant, Morin tente de définir notre rapport au monde à une époque où la réflexion intérieure semble être pratiquement devenue inconcevable. […] À partir d’une série de fragments et de thèmes, on assiste peu à peu à l’élaboration d’une pensée aussi vivante qu’actuelle. »

David Cantin, Le Soleil, 21 janvier 2007.

« Lorsque Morin, par exemple, pense dans son dernier ouvrage publié en janvier 2007, Le murmure signifiant, le monde de la représentation, le monde du spectacle, le triomphe de l’image et de l’objet, il les pense du sein de son expérience et de son rapport au monde contemporain. […] Ainsi, la théorie ne me paraît dans ce livre jamais très loin de ce que nous pourrions appeler un « art de vivre » : elle dirige la vie (la vie pensante) dans un certain sens plutôt qu’un autre. « Il s’agirait de briser l’écran, est-il écrit, opaque dans sa transparence prétendue ». Alors, brisons-le ! […]

Dans Le murmure signifiant, Michel Morin ne se pose pas en réformateur de l’état social ; il prétend seulement (bien humblement) conduire peu à peu le lecteur (et non la société en bloc) à prendre conscience de l’étrange réalité de ce qui échappe à la prise et au “schéma représentatif”. Voilà sans doute pourquoi il questionne sans relâche la répercussion intérieure de l’“expérience sensible”, lieu par excellence de toute Times New Romanisation chez l’individu. […] Faisant en outre la guerre tout au long de cet essai à l’idéologie moderniste et techniciste propre aux sociétés industrielles avancées, Morin s’attaquera entre autres, parmi les nombreux exemples qu’on pourrait donner de cette lutte contre les dérives de la civilisation productiviste, à cette frénésie objectivante qui caractérise l’essor des nouvelles communications. »

Simon Nadeau, Contre-jour, printemps 2008.

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